Endiguer la propagation de l’extrémisme violent au Sahel par le biais des services de base

Donald Brooks
4 min readJun 17, 2019
Des filles en train de puiser de l’eau d’une source d’eau non améliorée dans le village de Kogodou, Bilanga, Burkina Faso. Crédit : Abby Damon / Initiative : Eau (2018)

For the english version, click here.

Nous sommes à un moment critique pour empêcher la propagation de l’extrémisme violent au Burkina Faso et en Afrique de l’Ouest. Alors que les solutions militaires et les programmes de consolidation de la paix occupent une place de plus en plus importante dans l’engagement occidental dans la région, nous ne pouvons et ne devons pas oublier l’importance que revêt la fourniture des services de base et les infrastructures essentielles pour lutter contre les facteurs de radicalisation.

Au cours de l’année écoulée, le nombre et la propagation géographique des attaques violentes au Burkina Faso ont augmenté de façon stupéfiante, soit une augmentation de 200% par rapport à l’année précédente [1]. Au cours des dernières décennies, cependant, le Burkina a été une forteresse de stabilité dans la région. Cela a changé en 2014 avec le soulèvement populaire qui a renversé Blaise Compaoré, président depuis 27 ans. Depuis lors, plusieurs organisations terroristes transnationales se sont installées [2]. En commençant par la région sahélienne du pays, ces groupes se sont rapidement répandus ailleurs. En 2018, ces groupes ont ouvert en 6 mois un nouveau foyer d’insurrection militante dans la région de l’Est du pays [3]. En conséquence directe, j’ai dû prendre la décision d’évacuer les membres expatriés de l’équipe d’Initiative: Eau de notre bureau régional de l’Afrique de l’Ouest à Fada N’Gourma, capitale de la région de l’Est, en raison de la menace d’enlèvement, en décembre 2018. Initiative : Eau est une des dernières ONG américaines à maintenir une présence dans l’Est.

Ayant vécu à Fada N’Gourma pendant deux ans, j’ai été appelé à partager mon point de vue sur la détérioration de la sécurité dans l’est du pays lors d’une récente table ronde sur la sécurité et la paix dans le pays, organisée par l’ambassadeur des États-Unis au Burkina Faso, Andrew Young. Au cours de la discussion, j’ai souligné que les « zones chaudes » actuelles du pays sont aussi ses « zones oubliées » : le Sahel et l’Est. Dans ces régions, la capacité de l’État burkinabè à fournir des services de base, tels que l’accès aux soins de santé et à une eau salubre, est limitée et des infrastructures essentielles, telles que des routes, sont absentes ou en mauvais état. Les régions de l’Est et du Sahel comptent par exemple deux des plus grandes populations sans accès à l’eau potable, selon le ministère de l’Eau et de l’Assainissement en 2017 [4]. Selon la carte des risques pour la sécurité publiée par le ministère français des Affaires étrangères pour le Burkina Faso, la zone rouge orientale, qui désigne un conseil formel contre le déplacement, commence là où se termine le tronçon amélioré de la route nationale 4, principale artère traversant l’Est [5]. Bien que la décision de placer la limite de cette zone rouge à cet endroit ait été prise par un individu et ne risque donc pas d’être une coïncidence complète, elle souligne le lien important qui existe entre les infrastructures critiques et la sécurité.

Dans ces régions, de nombreux Burkinabè estiment que l’État les a abandonnés. Selon mes collègues locaux, ces personnes ont l’impression d’être négligées dans les plans de développement nationaux, ce qui créer une vulnérabilité exploitée par les groupes terroristes pour recruter de nouvelles forces. Ces groupes offrent à ces personnes un accès à des opportunités sociales, économiques et politiques, telles que la nourriture, l’eau et les services médicaux, que l’État n’a pas. Ces groupes offrent aux habitants de ces zones oubliées un exutoire pour exprimer leur mécontentement, un moyen pour eux de se battre pour obtenir leur part du gâteau.

Jusqu’ici, la position des décideurs a été de renforcer le dispositif militaire burkinabè, comme par exemple lors de l’opération Flintlock organisée par l’armée américaine en février [6] au Burkina Faso, et de mettre en place des programmes de consolidation de la paix, comme par exemple lors de la table ronde susmentionnée. Bien que ces deux approches jouent un rôle crucial dans la prévention de la nouvelle radicalisation, nous devons nous rappeler que celle-ci est le symptôme de problèmes structurels plus vastes. Bien qu’elles soient importantes, les solutions militaires et les programmes de consolidation de la paix sont des traitements symptomatiques laissant intacts les problèmes structurels.

Pour empêcher réellement la radicalisation et la propagation de l’extrémisme violent, nous devons continuer d’investir dans les services de base et les infrastructures critiques qui manquent à ces régions oubliées. Nous devons continuer à soutenir l’accès aux soins de santé et au renforcement des systèmes de santé, l’accès à l’eau potable et aux routes. Tant les efforts humanitaires que les efforts de développement doivent continuer non seulement à résoudre les situations de crise au Sahel et à l’Est, mais également à empêcher les régions à risque de suivre le même chemin. La communauté mondiale doit réagir. Sans une attention portée à ces changements structurels cruciaux, la réaction à la situation actuelle au Burkina risque de manquer de sens. Et, ce serait manquer l’occasion de contrôler la détérioration de la situation dans le pays, à ce moment décisif, avant qu’elle n’atteigne le point de non retour.

--

--

Donald Brooks

CEO of Initiative: Eau & Lead Data Scientist at COVID-19 Vaccine Delivery Partnership/#COVAX @WHO